De nos jours, entendre des expressions telles que ‘j’ai mal au dos’, ‘je me lève fatigué’, ‘je suis constamment tendu’ ou ‘stressé’ est devenu monnaie courante. Il n’est pas rare non plus d’entendre des jeunes et même des moins jeunes, encore sur les bancs de l’école se plaindre aussi de douleurs dans le dos ou les épaules. Ce phénomène a pris une ampleur sans précédent à notre époque et de nombreuses méthodes, techniques et thérapies proposent diverses solutions et approches.

Je vais vous présenter ce soir la Technique Alexander encore fort peu connue en Belgique et née en Australie il y a une centaine d’années déjà.

Son créateur, Frederick Matthias Alexander vit le jour en Tasmanie en 1869. En grandissant, il s’est pris d’une passion pour Shakespeare, dont il récitait les oeuvres. Il était au début d’une carrière qui paraissait très prometteuse. Il récitait Shakeaspeare sur scène, spectacle fort prisé à cette époque d’avant les médias actuels, et connaissait un franc succès. Sa réputation ne faisait que grandir quand il a commencé à rencontrer de sérieux problèmes, en l’occurrence de l’enrouement et la perte de sa voix sur scène. Il essaya divers traitements pour venir à bout de ses difficultés, mais en vain. Finalement, son médecin lui proposa de ne pas répéter son texte à haute voix durant les quinze jours précédant le prochain récital, et de parler, pendant la même période, aussi peu que possible pour bien reposer sa voix. Malheureusement, malgré toutes ces précautions, il ne put terminer son récital sans la réapparition de son problème.

Voici les termes dans lesquels Alexander lui-même en parle dans son troisième livre L’Usage de Soi :

« Ma déception était plus grande que je ne puis l’exprimer, car il me semblait que je ne pourrais plus espérer davantage qu’une amélioration temporaire, et qu’ainsi je serais obligé d’abandonner une carrière qui m’intéressait profondément et dans laquelle je croyais pouvoir réussir.

Je vis mon médecin le jour suivant et nous discutâmes de la question. A la fin de la conversation, je lui demandai son avis sur la conduite à tenir. « Il faut continuer le traitement », dit-il. Je lui fis remarquer que, bien que j’aie suivi fidèlement ses instructions de ne pas parler en public durant le traitement, l’ancien état d’enrouement était réapparu une heure après que j’aie commencé à utiliser ma voix le soir du récital. Et je lui demandai: « Ne faut-il pas en conclure que c’est quelque chose que j’ai fait, ce soir-là, qui a causé ce trouble? Il réfléchit un instant et dit: « Oui, il doit en être ainsi ». « Pouvez-vous me dire alors, lui demandai-je, ce que j’ai fait? « . Il admit franchement qu’il n’en savait rien. « Très bien, répondis-je, s’il en est ainsi, il faut que je le découvre moi-même. »

Le fait de réaliser qu’il avait quelque chose à voir avec son problème fut son premier trait de génie. Combien d’acteurs avant lui, au cours des siècles, ont dû rencontrer le même problème et dû abandonner leur carrière. Mais voilà, certains génies posent les bonnes questions et s’acharnent ensuite à leur donner une réponse. Plusieurs années d’investigations pour découvrir la cause de son problème conduisirent progressivement Alexander à la conclusion que l’ensemble de son corps était impliqué dans la perte de sa voix. Qu’il s’agissait d’un phénomène global. Cette notion de globalité est une notion très répandue aujourd’hui et plus ou moins acceptée par la plupart des gens, en théorie tout au moins, si pas en pratique. C’était plutôt révolutionnaire à l’époque d’Alexander dans la bouche d’un Occidental.

Alexander voyageait en terra incognita, complètement seul, personne avant lui n’avait posé les questions du même point de vue en ce qui concernait la manière dont on s’utilisait soi-même pendant une activité, lorsqu’on était en mouvement, en train d’agir, de vivre. Mais Alexander était très tenace. Petit à petit, il parvient à éliminer l’un après l’autre tous les obstacles qui se présentèrent sur son chemin et arriva finalement à surmonter son problème d’enrouement et de perte de voix.

Quand d’autres remarquèrent son amélioration, le changement, ils s’adressèrent à lui pour recevoir de l’aide. Parce qu’il s’avéra très difficile pour Alexander de communiquer au moyen du langage parlé une expérience psycho-physique, il se vit dans la nécessité de trouver un moyen de transmettre ce qu’il avait compris du fonctionnement de l’organisme au moyen d’un contact manuel, d’un toucher très précis et très subtil, qui caractérise aujourd’hui encore la manière de travailler de la Technique Alexander.

Alexander fut très surpris de trouver chez les autres des schémas de mauvaise utilisation de soi semblables à ceux qu’il avait dû surmonter en lui, ces schémas était présents, à des degrés divers, chez toutes les personnes qui venaient se faire aider par lui, quelle que fût la raison qui les conduisait à venir le trouver. Il découvrit qu’en s’adressant aux mécanismes de la coordination sous-tendant ces schémas, il était capable de leur communiquer une expérience d’un meilleur fonctionnement, fût-elle momentanée.

La demande d’aide augmenta et Alexander se vit forcé de choisir entre communiquer au public la sagesse de Shakespeare au moyen du langage articulé, ou de communiquer au moyen de ses propres mains cette sagesse du corps qu’il avait retrouvée. Il décida finalement qu’il serait plus utile à ses semblables en pratiquant la Technique qu’il avait lui-même mise au point.

En 1904, après avoir enseigné sa technique pendant une dizaine d’années dans son Australie natale, Alexander débarqua à Londres muni de lettres de recommandations d’éminents médecins australiens. Sa réputation grandit très vite dans le monde des médecins, des acteurs, des écrivains, des hommes politiques et autres personnages importants de son époque. Sherrington, par exemple, un des neurophysiologistes les plus importants du XXème siècle, parlant dans un de ses livres au sujet de ce qu’il appelait « l’élément réflexe dans le mouvement volontaire et la posture » écrivait ceci à propos d’Alexander:

« Mr Alexander a rendu service au sujet en traitant systématiquement chaque acte comme impliquant l’individu intégré tout entier, l’homme psycho-physique pris dans sa globalité. Faire un pas n’implique pas seulement un membre ou un autre, mais concerne l’activité neuromusculaire totale du moment – la tête et le cou n’étant pas les moindres. »

Quelle est donc cette activité de la tête et du cou dont parle Sherrington?

L’expérience pratique et la compréhension de cette relation dynamique entre la tête et le cou, entre la tête, le cou et le reste de l’organisme est fondamentale dans la Technique Alexander. Tous les spécialistes reconnaissent l’importance joué par la tête dans la coordination, mais nous lui accordons une importance particulière par l’usage pratique que nous en faisons dans notre travail de rééducation et de réapprentissage.

En tant qu’êtres humains érigés sur deux pieds, d’êtres qui pouvons-nous tenir naturellement debout, nous exécutons une activité d’équilibre constante, un ajustement constant de notre équilibre pour pouvoir rester debout qu’aucune autre créature sur la Terre ne peut prétendre égaler.

Nous somme munis de très subtils mécanismes réflexes innés qui sont constamment en oeuvre pour placer le poids considérable de la tête exactement là où il sera le plus utile pour l’équilibre du corps dans son ensemble. Cependant, ces mécanismes fonctionnent au mieux de notre avantage quand la tête est librement portée au sommet de la colonne vertébrale. Malheureusement, beaucoup si pas la plupart des Occidentaux que nous sommes, ont une tendance à bloquer la tête d’une manière qui perturbe la réception des messages concernant les mécanismes de l’équilibre – notamment les messages provenant des très importants récepteurs de l’oreille interne. Quand cela a lieu, un travail considérable de travail musculaire inutile et fatiguant doit se faire simplement pour pouvoir rester en équilibre. Si les tensions que ce travail provoque ne sont pas détectées et traitées à temps, à la longue elles peuvent être la cause de diverses difficultés et douleurs.

Avec le travail que nous faisons au moyen de la Technique Alexander, vous apprenez progressivement à déceler quand vous interférez avec cette relation dynamique tête/cou et à évaluer dans quelle mesure cette interférence affecte la coordination et le fonctionnement du reste du corps.

Quand on veut améliorer son état et la manière dont nous effectuons nos diverses activités, il est nécessaire au préalable d’avoir ne fût-ce qu’un vague idée de ce qui a besoin d’être changé, et dans ce qui nous occupe cette nécessité en elle-même représente le premier obstacle.

Car, en ce qui concerne les sens habituels tels que le vue, l’ouïe ou l’odorat, par exemple, nous reconnaissons que nous pouvons parfois être induits en erreur et être sujets d’une illusion sensorielle. Mais cela n’est pas bien grave car il est en général possible de vérifier l’erreur. Par exemple, vous pouvez entendre un bruit qui vous fait croire que la porte s’est entr’ouverte, mais en allant vérifier constater qu’il s’agit en fait de la fenêtre. Ou, pour citer un autre exemple, vous pouvez sentir que votre épouse ou époux prépare une omelette dans la cuisine, mais en entrant dans la cuisine réaliser qu’il s’agit en fait de crêpes. Ces exemples existent à l’infini. Mais nous sommes moins enclins à douter du sens qui nous dit comment nous bougeons, ce que nous faisons avec nos articulations et nos muscles, car ces sensations sont liées au sens de l’identité par la perception de notre schéma corporel. Ce qui nous est familier nous semble correct, juste et nous nous y fions et nous nous y accrochons jusqu’à que nous commencions à avoir des problèmes. Pourtant ce sens n’est pas plus fiable que les autres à 100%.

Il existe des récepteurs dans les muscles et les articulations qui nous renseignent sur la tension de nos muscles quand nous agissons. Il arrive un moment où si les muscles sont chroniquement ou régulièrement trop tendus, ou trop relâchés, le cerveau interprète mal les messages qui lui arrivent et ne peut plus apprécier avec justesse ce que nous faisons exactement quand nous bougeons, quand nous sommes assis à notre bureau, quand nous nous penchons etc, C’est une des raisons principales de notre manque de connaissance concernant la manière dont nous nous utilisons quand nous bougeons d’une manière qui provoque des douleurs ou de l’inconfort. Il est vital d’en tenir compte si nous voulons améliorer notre manière de nous mouvoir sans aucune contrainte.

Alexander fut très perturbé par ce constat. Dans le même livre, il écrit:

« On imagine généralement qu’il suffit de nous dire comment corriger une mauvaise de faire quelque chose, pour que nous puissions le faire et que si nous avons la sensation de bien le faire, tout est pour le mieux. Toute mon expérience, cependant, montre que cette conviction est une illusion. »

Il continua ses expérimentations jusqu’à ce qu’il trouve un moyen de rendre ce qu’il ressentait plus fiable. L’habitude est un obstacle important.

Je vais essayer d’illustrer le rôle que joue l’habitude dans la difficulté de changer par l’exemple suivant.

Certains d’entre vous ont peut-être eu l’occasion de se rendre en Angleterre en voiture. Avant de partir, vous savez d’avance qu’en débarquant de l’autre côté de la Manche, vous devrez rouler à gauche. En quittant le ferry-boat, des panneaux vous le rappellent plusieurs fois. Vous roulez prudemment à gauche, tout va bien. Tout va bien jusqu’au premier carrefour. Si vous devez tourner à gauche, aucun problème, il suffit de rester de garder la gauche. Si vous devez tourner à droite par contre, que se passe-t-il? A moins de vous RAPPELER que vous devez rester à gauche en changeant de direction, le danger est grand de vous retrouver du côté droit de la route après avoir tourné, selon votre habitude. Dans ce cas, parce que le danger de la situation est évident et que vous êtes conscient, je l’espère, que vous n’êtes pas seuls sur la route, vous réalisez instantanément votre erreur, ou mieux encore, à temps l’erreur que vous auriez pu faire.

Par contre, en ce qui concerne la direction de l’utilisation de notre propre corps, les effets des schémas habituels peuvent se manifester totalement à notre insu. Face à une situation nouvelle, nous réagissons de notre manière habituelle. Puisque nous ne réalisons pas que nous nous faisons du tort, nous continuons à répéter nos erreurs, et cela continue tant que nous n’en souffrons pas, car certains corps humains ont des capacités d’adaptation et de résistance énormes. Mais les mauvaises habitudes sont plus facilement formées que défaites, et cela peut nous coûter très cher à la longue.

Alexander a mis beaucoup de temps avant de pouvoir trouver un moyen de se rééduquer lui-même correctement et de pouvoir ensuite aider les autres.

Aujourd’hui, un professeur en Alexander peut nous aider en quelques leçons à faire l’expérience d’un mouvement plus physiologique dès que nous aurons appris à nous défaire suffisamment de nos tensions excessives et à permettre au cours de retrouver une certaine expansion. A ce moment-là, dans ce nouvel état, nous pourrons choisir les nouvelles possibilités de réaction qui nous sont offertes, dès que nous aurons suffisamment accepté la sensation d’étrangeté qui accompagne souvent la nouvelle manière de nous utiliser qui se propose à nous.

J’aimerais à ce point insister sur l’importance de prendre le temps de s’arrêter et de réfléchir, de faire une pause avant d’agir, ne fût-ce qu’une pause d’une milliseconde. Le premier pas consiste à apprendre à ne pas réagir trop vite, c’est notre seule chance de pouvoir prendre un autre chemin que celui que nous connaissons déjà, de prendre une autre direction que celle que nous avons l’habitude de prendre.

Prévenir un mauvais fonctionnement de la relation dynamique entre la tête, le cou, le dos et les membres, c’est ce qui permet le développement de ce que nous pourrions appeler une expansion coordonnée de l’ensemble de notre structure physique. Et à l’intérieur de cette structure en expansion, des mouvements plus spécifiques sont plus facilement exécutés. Marjorie Barlow, la nièce d’Alexander et professeur elle-même de la Technique, décrit bien ce processus quand elle dit qu’il s’agit d’une étape préparatoire de ce que l’on pourrait comparer à la pose de rails de chemins de fer que la locomotive pourra un jour emprunter.

Cette procédure consistant à faire l’expérience d’une meilleure utilisation de soi à l’aide des mains du professeur en Alexander pendant que l’élève empêche les tensions habituelles d’interférer devra probablement être répétée un certain nombre de fois, parce que la plupart d’entre nous avons passé tellement de temps dans une mauvaise direction que nous ne pouvons espérer tout remettre en place instantanément. Mais ensemble, élève et professeur pourront créer de nouvelles expériences et les rendre de plus en plus durables.

Nous pouvons aller de la sorte très loin dans l’amélioration de la coordination et du contrôle de soi, cela dépendra des exigences de chacun. Celui qui veut simplement arriver à pouvoir s’asseoir devant son ordinateur et travailler sans les douleurs habituelles au dos ou aux épaules, n’a pas les mêmes exigences qu’un violoniste qui veut exécuter un vibrato à la perfection.

C’est pourquoi dans la Technique nous commençons le travail par des actes simples et familiers, comme par exemple s’asseoir et se lever d’une chaise, que nous répétons à longueur de journée pour la plupart d’entre nous. Puis qand nous avons acquis suffisamment de contrôle et d’assurance, nous appliquons progressivement la nouvelle utilisation de nous-mêmes à toutes nos activités de la vie et cela devient un processus offrant d’infinies possibilités d’amélioration. Meilleure notre utilisation de nous-mêmes, meilleure notre capacité à mettre nos décisions correctement à exécution. Plus de confiance dans nos possibilités augmente les chances de réussite, et ainsi de suite.

Pour clore, il faut revenir sur terre, et comprendre que la Technique Alexander n’est pas un remède miracle à nos problèmes. Sans un travail continu sur soi rien ne peut arriver. Les mauvaises habitudes et les conceptions mentales, conscientes et inconscientes, ont la vie dure. J’ai même lu sous la plume d’un neurophysiologiste que certains préjugés sont plus difficiles à changer que des processus métaboliques. Mais pour celui qui s’applique sérieusement, il découvrira que la Technique Alexander est un outil puissant de rééducation de soi. De toute façon, la meilleure façon de vérifier une procédure pratique est de la tester soi-même.


Alexander Technique Brussels