par le Dr Samuel S. Reiser, D.D.S.
Professeur qualifié de la Technique Alexander, New York, USA
Sixième Congrès International de Montreux sur le Stress
Biotonus Clinique Bon Port Grand Hotel Excelsior Switzerland
20 au 24 février 1994
Préface
La découverte fondamentale de F.M. Alexander
La base biologique de la méthode pédagogique
Quelques considérations importantes au sujet de la dimension pédagogique de la technique
Conclusion
Références
La Technique Alexander est un exemple convaincant de ce que Sherrington [1. Sherrington, C.S., The integrative Action of the Nervous System. New Haven: Yale University Press, 1906.] a nommé «l’action intégrative du système nerveux.» La perte de cette intégration finit par aboutir à la maladie. Cela peut se produire avec la perte de la capacité à trouver l’équilibre entre l’effet du champ gravitationnel et la réaction à celui-ci du système musculaire antigravifique du corps humain. La réduction des effets de certaines contraintes, telle que la douleur, a lieu lorsque certains mécanismes spécifiques propres à tous les vertébrés stimulent et entretiennent l’allongement et l’élargissement des muscles volontaires du corps pour s’opposer à la force de compression de la gravité. Chez l’animal, ils sont activés par le biais de réflexes inconscients. Chez l’être humain, cependant, ces réflexes peuvent perdre de leur efficacité et conduire à une compression et à une diminution de la stature –préparant probablement le terrain aux futurs maux de dos, problèmes discaux, sciatiques, etc. Dans ces cas-là, la Technique Alexander aide à réactiver ces réflexes qui contrecarrent la pression de la gravité pour réorienter correctement le corps dans l’espace. Les mécanismes atténuant des phénomènes tels que ceux que je viens de citer furent étudiés en 1925 par Magnus [2. Magnus, R., Animal Posture, Proceedings of the Royal Society of London, 1925, 98 (ser. B) 339-359.] en travaillant sur des vertébrés. Il leur donna le nom générique de «contrôle central.» Un peu plus tôt, en 1918, Alexander [3. Alexander, F.M., Man’s Supreme Inheritance, 1918. Center Line Press, 2005 Palo Verde Avenue, Long Beach, CA 90815.] avait travaillé séparément sur lui-même pour découvrir les mêmes mécanismes qu’il appela «le contrôle primaire de l’usage de soi.» Ce texte analysera dans le détail le fonctionnement de ce contôle central ou primaire et de son rôle potentiel dans les domaines de l’éducation et de la médecine préventive.
PREFACE
Le biologiste de renom, D’Arcy W. Thompson, déplorait les effets de notre destin liés au vieillissement de la manière suivante :
«La lente diminution de la stature chez l’homme est un signe de l’inégalité du combat entre les pouvoirs de notre corps et la force constante de la gravité qui nous pousse vers le bas à peine commençons-nous à bien nous sentir debout. Nous luttons contre elle tous les jours, à chaque moment qui passe, à chaque mouvement de nos membres, à chaque battement de notre cœur –c’est la force indomptable qui a finalement raison de nous, qui nous couche sur notre lit de mort et qui nous descend dans notre tombe.» [4. Thompson, D., On Growth and Form, Cambridge University Press, 1942. ]
Cette conférence a pour but d’attirer l’attention de la communauté scientifique sur le travail de F.M. Alexander, qui nous aide à faire la paix avec la gravité, de sorte que nous n’ayions pas à devenir les victimes des tristes prédictions du Dr Thompson. Notre évolution s’est faite de la quadrupédie, aux relents de reptation, à la bipédie érigée. Nous nour réjouissons de voir un jour nos enfants enfin se dresser sur leurs pieds, heureux de se mettre debout et de se mouvoir dans l’espace dans un tel raffinement de coordination et de précision. Comment cela se met-il en place? Il doit exister un certain nombre de mécanismes qui permettent à l’organisme humain de neutraliser la force de la gravité. Ils sont innés et ont été programmés génétiquement au cours des millions d’années d’évolution qu’a pris l’hominisation. Sans eux, le développement ultérieur de notre espèce n’aurait pas été possible. Il est indéniable que le développement coordonné de notre cerveau et de nos mains n’aurait pas pu avoir lieu. Mais ne perdons-nous pas notre coordinatin si aisément? Le soin et la précision exigés pour l’exécution de l’acte le plus simple nous met sous tellement de tension et de pression. La manière de nous utiliser, la manière de tenir nos outils avec les doigts, activés par les muscles et les articulations du poignet, de l’avant-bras, du coude, de l’humérus, de la ceinture scapulaire et des muscles dorsaux déterminera de l’efficacité de notre action. Si l’utilisation de nous-mêmes laisse à désirer, la tension musculaire entraînera de la fatigue, de la douleur, la diminution de notre stature et, en fin compte, l’arrêt total de la fonction. Le terme «mal-aise» (en anglais «dis-ease»: maladie) définit exactement l’ordre chronologique que suit un tel usage. La Technique Alexander, entre autres considérations, est une méthode qui cherche à rétablir l’aisance au cours de nos activités. C’est non seulement un moyen pour repérer et diagnostiquer un mauvais usage de soi, mais aussi une technique conduisant au rétablissement des conditions associées à un usage et un fonctionnement efficaces de soi. Je voudrais également attirer l’attention sur la nature véritablement holistique de la Technique; car elle permet à chacun(e) d’activer son énergie psychophysique propre pour rétablir un bon usage de lui ou d’elle-même et de découvrir pendant ce processus l’indissociable fusion entre le psychique et le somatique présente dans toute activité humaine.
La Technique Alexander est un processus pédagogique qui implique la présence d’un professeur et d’un élève. C’est passer à côté de la question que de l’envisager comme un thérapie physique ou psychologique. Quel en est alors le critère d’évaluation? Le fait que l’élève reconnaît et utilise le contrôle primaire dans l’utilisation de soi découvert par Alexander et vérifié indépendamment par Sherrington [2 5. Sherrington, C.S., The Integrative Action of the Nervous System, pp. 306-307, 313. Charles Scribner’s son, 1906.],Magnus[6. Magnus, R., Animal Posture, Croonian Lecture, University of Utrecht, June 11, 1925.] et Coghill [7. Coghill, G.E., Anatomy and the Problem of Behavior, Cambridge University Press, 1949.]
Redécouvrir et utiliser ce principe biologique exige normalement l’aide d’un professeur qualifié de la Technique Alexander. L’élève apprend à améliorer l’usage de lui-même et des fonctions qui en dépendent par l’application du contrôle primaire de l’usage de soi, décrit ci-dessous, plutôt que d’être passivement soigné par des éléments extérieurs tels que les médicaments, les appareils orthopédiques, etc. De tels traitements sont, dans le meilleur des cas, une solution palliative ou de court terme.
LA DECOUVERTE FONDAMENTALE DE F.M. ALEXANDER
Aucun chercheur n’a vraiment étudié, excepté de la manière la plus superficielle, les habitudes de travail et les diverses utilisations de soi qui ont une influence profonde sur notre santé. De manière générale, il est évident que la manière habituelle de s’utiliser a une influence, en bien ou en mal, sur le fonctionnement de l’organisme. Ce qui n’est pas évident, cependant, c’est la correspondance précise entre activité habituelle spécifique et ses répercussions sur l’ensemble de l’organisme. Pour être capable de voir cette correspondance, cela implique l’existence d’un ensemble de connaissances qui peuvent démontrer l’influence de l’usage de soi sur le degré d’efficacité de fonctionnement de l’organisme. C’était la découverte fondamentale d’ Alexander. Il connaissait le succès dans son métier d’acteur jusqu’à ce qu’il commencât à perdre la voix à cause d’une laryngite, qui prit un caractère chronique. Son médecin lui conseilla d’arrêter de parler tant que sa gorge resterait enflammée. Mais dès qu’il se remit à parler, l’inflammation réapparut. On lui conseilla à nouveau de reposer ses cordes vocales. Désespérant de jamais pouvoir se guérir de cette manière, il se mit à réféchir. Concluant qu’il devait faire quelque chose qui interrrompait le flot naturel de la parole –chose que parler longtemps devait renforcer- il se mit à s’observer dans un miroir, pour essayer de repérer ce que cela pouvait être. Après des observations qui durèrent plus de neuf ans, un tour de force de patience et de recherche méticuleuse et scrupuleuse, il fit des découvertes d’une importance fondamentale pour la solution de son probème. Il serait impossible dans le cadre de cet exposé de présenter ces découvertes dans le détail. Quoiqu’il en soit, les points caractéristiques doivent en être mentionnés si nous voulons comprendre correctement son travail.
Très tôt au cours de ses recherches, Alexander découvrit qu’il n’y avait pas de rapport réel et précis entre ce qu’il faisait effectivement pour parler et ce qu’il pensait qu’il faisait. Par exemple, quand il se décidait à se mettre à parler, et cela sans s’en rendre compte, il rejetait la tête vers l’arrière, abaissait son larynx, relevait la poitrine, et aspirait de l’air par la bouche. Plus tard, il réalisa que ces actions surajoutées interféraient avec une bonne élocution. Au départ, sa sensibilité était si peu développée que ces mouvements gênants étaient à peine conscients. Ce n’est que lorsqu’il se mit à s’observer dans le miroir qu’il vit à quel point il avait été trahi par ses sens. Il avança dans ses observations en réalisant que même avec l’aide du miroir il était incapable de poursuivre jusqu’au bout et d’une manière précise les instructions qu’il se donnait. Au cours de ses tentatives pour arriver à mieux se contrôler, il put voir comment le contrôle devient possible et peut se maintenir dans toutes les activités psychophysiques.
Après des mois de discipline devant le miroir, Alexander en déduisit que pour voir ses tentatites de bien parler se couronner de succès trois conditions devaient être réunies :
- Conscience
- Inhibition
- Direction
Conscience: L’individu crée un champ d’attention élargi dans lequel l’interaction entre le soi et l’environnement est perçue comme un processus continu. C’est l’établissement d’un champ d’attention intégré dans lequel l’environnement et le soi sont perçus simultanément. [8. Jones, F.P., Body Awareness in Action, Shocken Books, New York, 1976, pp.9,159.]
Inhibition: Qu’il soit clair que ce mot n’est pas utilisé dans le sens freudien. Pour Alexander, cela implique de se retenir consciemment de répondre à tout stimulus à agir. Cela signifie interrompre l’envoi de messages nerveux dans les circuits contrôlant les mécanismse réflexes provoquant les réponses habituelles et automatiques aux stimuli.
Direction: Si les deux premières conditions citées ci-dessus sont réunies, il devient possible pour l’élève de se donner de nouvelles instructions pour agir en activant les réflexes toniques du cou comme préparation à tout mouvement, comme marcher, parler, s’asseoir, etc. Comment activer ces réflexes chez l’élève relève de la compétence du professeur en Alexander.
Appliquant ces trois procédures à son problème d’enrouement chronique, Alexander découvrit qu’il ne pouvait apprendre à améliorer son élocution qu’en réfrénant d’abord son désir de parler. En d’autres termes, il fallait convenablement inhiber l’ensemble des réactions psychophysiques complexes qui étaient déclenchées par le besoin de parler et se donner de nouvelles instructions inhabituelles. Cela lui permit d’éliminer la traction de la tête vers l’arrière et vers le bas pour lui pemettre de se dégager vers l’avant et vers le haut et s’articuler librement au sommet de la colonne vertébrale. En continuant à s’observer, il découvrit que s’il permettait à sa tête d’être dirigée vers l’avant et vers le haut pour atteindre le point le plus élevé par rapport à l’atlas, la première vertèbre cervicale, et qu’en même tant il permettait l’expansion du torse (allongement et élargissement), les réflexes qui sont responsables de la posture et du mouvement, tels que les réflexes toniques du cou, étaient stimulés et augmentaient l’efficacité de l’usage et du fonctionnement de soi. Il leur donna le nom de «contrôle primaire de l’usage de soi» et en déduisit que c’était l’un des mécanismes majeurs de l’intégration de l’unité corps-esprit. S’il fonctionne librement, des activités vitales comme la circulation, la respiration, la locomotion, etc. peuvent tendre vers un fonctionnement optimal. S’il est gêné, et selon le degré de l’interférence, les activités verront leur bon fonctionnement s’altérer.
Assez tôt dans sa recherche, Alexander réalisa qu’il avait à faire aux effets de la gravité sur le système musculaire. Par exemple, un manque d’expansion naturelle (allongement et élargissement) en réaction à la force de gravité dans la région concernée par le fonctionnement des cordes vocales, provoquera un mauvais fonctionnement, créant douleur et maladie, dans son propre cas une laryngite. De plus, il faut qu’ait lieu une expansion (allongement et élargissement) de toute la musculature du torse, et non pas seulement des muscles du cou entourant le tractus vocal. En d’autres termes, il y a unité d’action incluant l’ensemble de la musculature de l’unité corps-esprit. Alexander publia ses découvertes dans les livres cités ci-dessous. [9. Alexander, F.M., Man’s Supreme Inheritance(1918) and Constructive Conscious Control(1928)
The books above have prefaces by Prof. John Dewey and have been re-issued by Center Line Press, 2005 Avenue Palo Verde Avenue, Long Beach, CA 90815.]
LA BASE BIOLOGIQUE DE LA METHODE PEDAGOGIQUE
Magnus et son école ont démontré que les vertébrés se maintiennent instinctivement dans un état d’équilibre musculaire permettant l’efficacité maximale dans tous leurs mouvements [10. Magnus, R. Korperstellung, Berlin, Springer, 1924, pr. 544]. Il a démontré que les réflexes de l’ensemble tête-cou représentent le mécanisme central qui oriente les vertébrés dans leur environnement, en leur permettant de conserver l’activité posturale nécessaire à une activité donnée et en leur permettant ensuite de retourner à une activité posturale neutre. Parmi eux, un groupe de réflexes majeurs facilitant le bon déroulement des opérations sont les réflexes toniques du cou qui contrôlent l’activité posturale chez tous les vertébrés. Magnus a même affirmé qu’ «il a été prouvé que le centre pour le contrôle des réflexes posturaux s’étend du premier segment cervical de la moelle épinière jusqu’à la partie antérieure du mésencéphale». Il a donné à ce centre le mot allemand de «Korperstel-lungsapparat» et le tonus des muscles antigravifiques en dépend. La stimulation des réflexes qui sont associés à ces derniers sont fort influencés par la position de la tête et du cou par rapport au reste du corps. C’est exactement le même mécanisme qu’Alexander découvrit en travaillant sur lui-même pour vaincre sa laryngite. Il l’appela le contrôle primaire de l’usage de soi des années avant que Magnus ne fasse la même découverte en 1924. Les deux hommes travaillèrent indépendamment et sans se connaître.
LA BASE BIOLOGIQUE DE LA METHODE PEDAGOGIQUE
Sherrington, en parlant du système nerveux central, observa «que c’est un organe de coordination dans lequel, par l’association de multiples excitations, il en résulte des activités ordonnées , des réactions adaptées aux besoins des organes, et que ces réactions sont organisées en schémas séquentiels s’articulant clairement les uns aux autres» [11. Sherrington, C.S., Brain: Encyclopedia Britannica, (Ed. 14, Vol. IV)]. Il démontra la coordination des réflexes simples et complexes et leur relation au cortex moteur du cerveau. Sherrington a reconnu la valeur de la méthode pédagogique d’Alexander en ces termes: «Mr Alexander a rendu service au sujet en traitant systématiquement chaque acte comme impliquant l’individu intégré tout entier, l’homme psychophysique pris dans sa globalité. Faire un pas n’implique pas seulement un membre ou un autre, mias concerne l’activité neuromusculaire totale du moment –la tête et le cou n’étant pas les moindres.» [12. “The Endeavor of Jean Fernel”, London: Cambridge University Press, 1946.] En plus du travail de Sherringtonet de Magnus, un autre nom important devrait être ajouté, celui de George E. Coghill, lequel passa quarante ans à étudier l’anatomie et la physiologie d’un amphibien, l’amblystoma, et trouva que ce qu’il découvrit dans ces organismes s’appliquait également à l’homme. [13. Coghill, G.E., Appreciation: The Educational Methods of F.M. Alexander, The Universal Constant in Living, Dutton, N.Y., 1941, pp. xxi-xxviii.]
Il est clair par ce qui vient d’être dit que le travail d’Alexander a été confirmé par les recherches fondamentales menées par des scientifiques font autorité en la matière. Il est intéressant de noter que la découverte de Magnus de ce qu’il appela le «contrôle central» fut pressentie par Alexander bien avant 1924, l’année de la publication de «Korpestellung». Alexander parla de «contrôle primaire» mais, en fin de compte, les deux termes renvoient à la même chose. La grande découverte d’Alexander a été de montrer que le contrôle primaire peut être activé en aidant l’élève à devenir conscient de la composante proprioceptive des différents mécanismes neuromusculaires mis en œuvre quand il se tient debout, s’asseoit, marche ou utilise ses doigts pour un travail délicat et précis, comme dans le métier de dentiste. L’importance de la proprioception ne peut être négligée. Si les fuseaux neuromusculaires dans les muscles, les articulations ou les tendons ne peuvent envoyer leurs messages au système nerveux central, ce qui peut arriver dans le cas d’une polynévrite affectant les racines sensorielles des nerfs spinaux et craniens, le patient perd la sensation d’avoir ou d’être un corps. Le patient s’effondre littéralement en un amas désincarné. [14. Sacks, O., The Man Who Mistook His Wife for a Hat, Perennial Library, Harper & Row, 1987.pp.43-54]. Heureusement, c’est un cas très rare, ce qui prouve la stabilité de ce mécanisme pour la survie de l’espèce du point de vue de son évolution.
QUELQUES CONSIDERATIONS IMPORTANTES AU SUJET DE LA DIMENSION PEDAGOGIQUE DE LA TECHNIQUE
Arrivés à ce point nous pourrions nous demander: Comment cela se fait-il que chez la plupart des enfants arrivés en âge scolaire l’efficacité de leur contrôle primaire de l’usage de soi commence à diminuer, et dans certains cas dans des proportions dramatiques ? Cela peut être dû:
- A l’imitation inconsciente du mauvais usage des parents, d’autres adultes ou d’enfants de leur âge
- Aux meubles pour enfants mal conçus, comme par exemple les lits qui ne supportent pas la colonne vertébrale; les fauteuils trop comfortables des voitures et les chaises qui encouragent l’affaissement du dos, etc.
- Et aussi la régularité intransigeante exigée concernant la «propreté» des enfants, la discipline excessive en maternelle et en primaire, ainsi que le manque de socialisation, qui encourage la compétitivité aux dépens de la coopération, peuvent créer pas mal de stress dans la vie de l’enfant, avec la détérioration psychophysique que cela entraîne.
Au vu de ce qui vient d’être dit, il est évident que le genre d’éducation que les enfants reçoivent doit, au moins, ne pas ébranler l’intégrité de l’unité psychophysique innée. C’est un héritage trop précieux pour le gaspiller par de piètres méthodes d’éducation associées à des influences sociales néfastes, comme la pauvreté et le crime.
L’éminent philosophe John Dewey voyait en la Technique Alexander une méthode pour traduire ses théories sur l’éducation en une expérience pratique. Il remarqua tristement dans la plupart des procédures éducatives la présence de l’illusion présupposant que la volonté et le désir de bien faire est tout ce dont l’élève a besooin pour réaliser quoi que ce soit. [15. Dewey,J., Human Nature and Conduct, New York: The Modern Library, 1930. pp.27-30. The Philosophy of John Dewey, Northwesten University, Evanston & Chicago, 1939, pp.44-5.] L’on suppose que, assez miraculeusement, celui qui veut agir trouvera les moyens pour atteindre son but. Le professeur Alexander fait prendre conscience de cette illusion en démontrant concrètement que les sens de l’élève n’enregistrent pas correctement ce qui a réellement lieu dans l’unité corps-esprit. Il n’est pas rare qu’un ou une élève pense que son corps est droit, alors qu’il est penché ; ou que les épaules sont détendues et au même niveau, alors qu’elles sont tendues et relevées différemment. Certains étudiants sont tellement convaincus qu’ils savent ce qu’ils font qu’il faut faire appel à l’image que le miroir leur renvoir peut ébranler leurs convictions. Pour arriver à réaliser ce qui se passe en eux, ils doivent reconnaître et surmonter les points suivants:
- Appréciation sensorielle non fiable associée à un mauvaise coordination ou à un mauvais usage de soi.
- Conception incorrecte des instructions données par le professeur.
- Les réflexes de peur anormalement activés qui interfèrent avec la raison.
- Forte résistance à exécuter une action d’une manière inhabituelle.
Dès que les obstacles sus-cités n’interfèrent plus, l’élève devient de plus en plus capable d’inhiber ses réponses psychophysiques et, en conséquence, de plus en plus capable d’activer le mécanisme du contrôle primaire de l’usage de soi pour établir un usage et un fonctionnement coordonné optimal pendant le travail ou les loisirs, confiant dans la certitude de promouvoir ainsi sa santé. L’éducation conditionne très tôt les élèves et instille en eux le désir de bien faire, accompagné de son corollaire, la peur de rater. Associé à une mauvaise sensibilité sensorielle, c’est un schéma qui peut potentiellement entraver les procédures éducatives. Ici encore, le professeur Alexander apaisera de telles peurs en n’exigeant rien de l’élève tant qu’il ne contrôle pas suffisamment ses mécanismes psychophysiques. Tant que l’élève est sous l’emprise de ses anciennes habitudes d’usage de soi, il lui est impossible d’avoir une conception correcte des instructions verbales, ou tactiles et muettes. Cela est évident, dès qu’il est reconnu qu’un traitement sensoriel défectueux et l’anxiété de ne pas rater empêchent l’élève de raisonner en utilisant ce qu’Alexander a nommé les «moyens-par-lesquels» pour arriver à un usage de soi efficace. Dans la méthode d’Alexander, ces éléments sont pris en considération et des instructions purement verbales et les exhortations à «bien faire» son évitées. Elles sont remplacées par un travail tactile associé à des intructions verbales. De cette façon, et en utilisant le contrôle primaire de soi, l’élève est encouragé à ne plus compter sur les mécanismes insatisfaisants associés à des conceptions incorrectes du passé pour se rediriger de sorte à être en accord avec le contrôle primaire de soi.
CONCLUSION
La Technique Alexander est une méthode éducative pour détecter et éliminer des habitudes qui peuvent conduire à la douleur et à la maladie. J’insiste sur la nature intime, subtile de la technique-même. L’exercice constant et inlassable de la sensibilité que la technique encourage peut mener à une compréhension de la source de ses motivations. L’on apprend aussi à évaluer un état mental en le reliant aux tensions corporelles auxquelles il est associé. De cette manière l’indivisible unité corps/esprit est observé par l’élève dans ses diverses activités. Que l’on soit conscient d’un sensation de douleur évidente, ou d’une sensation plus subtile, comme un changement d’humeur, l’on devient de plus en plus capable de la modifier, si on le désire. Donc, un état dépressif, habituellement associé avec un dos courbé, un regard fixe et des tensions excessives dans tout le corps, peut être grandement amélioré en inhibant ces conditions qui lui sont associées. L’élève devient de plus en plus apte à faire le rapport entre certains états mentaux et ses tensions corporelles spécifiques, et inversément, entre des états mentaux et des tensions corporelles. Lentement, mais sûrement, avec l’acquisition du contrôle conscient, les sillons creusés par les mauvaises habitudes sont délaissés au profit d’ une sensation grandissante de liberté et de spontanéité.
Nous tenons à remercier le Dr Samuel Reiser d’avoir gracieusement autorisé cette traduction de sa conférence sur la Technique Alexander et de permettre ainsi au public francophone de pouvoir le lire.
Athanase Vettas
Bruxelles – Belgium – E.U.
www.techniquealexander.be